Selon Lacan, contrairement à l’animal, l’Homme n’est pas son corps : il a un corps. Celui-ci lui est décerné par le langage, qui sépare le sujet de son corps et en fait quelque chose d’extérieur à lui. L’être humain habite son corps sans s’y identifier tout à fait. Pourtant, dès l'âge de six mois, le petit humain est capable de percevoir son image ; c’est ce que Lacan appelle le « stade du miroir ». Jusque là, il se « sentait » exister et à présent il découvre une image à laquelle il doit s'identifier ; il se voit enfin comme un tout non morcelé, mais un tout limité. Pour lui, l'image est source d'inquiétude, il se voit et se « voit voir ». Cette image est-elle bien la sienne ? Il ne s’y reconnaît pas tout à fait… Un sentiment d'«inquiétante étrangeté» qui se répète lorsque, adulte, nous sommes confrontés à notre visage sur une photo.
Pour Patrick De Neuter (1995) il est indispensable, pour élaborer une théorie du corps, de prendre en considération les trois registres de l’humain décrits par Lacan, à savoir le Réel, l’Imaginaire et le Symbolique. Le corps réel est celui qui vient faire échec à nos désirs, qui entame la toute-puissance de nos pensées. Dans le cas du handicap moteur acquis, il y a une perte, parfois irrémédiable, souligne Coopman (2008) ; « la confrontation à cette perte dans ce qu’elle a d’inexorable peut amener le patient au plus proche d’un éprouvé de destruction et d’anéantissement de soi », poursuit-elle. Le réel de ce corps modifié est alors souvent oublié au profit de ses dimensions symbolique et imaginaire.
Françoise Dolto (1984), quant à elle, distingue le «schéma corporel» de l’«image du corps». Le premier est le vécu du corps dans l’espace, dans le monde physique, structuré par l’apprentissage et l’expérience. Le schéma corporel, poursuit Ghada-Rita Aoun, dépend de l’intégrité de l’organisme ou des lésions éventuelles, dans le cas du handicap. L’image du corps est liée au sujet et à son histoire et se construit dans le rapport langagier à autrui. Elle est donc relationnelle et comporte une dimension symbolique.
Selon Colette Assouly-Piquet, citée par Aoun, dans la confrontation au handicap « tout se passe comme si l’autre, à la fois familier et étranger, avait le pouvoir de nous renvoyer une image déformée de nous-mêmes jusqu’à détruire le sentiment intime de notre identité… »
Le regard se porte sur la mutilation, la difformité, le fauteuil roulant... avant de se détourner. Le handicap apparaît comme un stigmate qui fait obstacle à la rencontre.
Dans le cas du handicap acquis, la personne prend pleinement conscience du regard de l’autre lors des premières sorties. Celui-ci est fuyant, curieux, empreint de pitié, effrayé, gêné. Le comportement est inapproprié, allant de l’évitement aux questions indiscrètes, passant par l’aide intempestive et l’infantilisation. Il s’agit donc, pour la personne handicapée, d’être capable de se réapproprier cette image, voire même de se valoriser malgré ces regards ou absence de regards. Le vêtement devient une deuxième peau qui permet de camoufler les cicatrices ou les jambes atrophiées, de cacher les blessures narcissiques. Les séquelles deviennent les tatouages du passé ; intégrer ces éléments, c’est aussi faire le travail symbolique du deuil (Soulier, 2001).